Vous vivez à Toronto depuis quatre ans, presque cinq. Vous êtes marié à une charmante femme qui répond au nom de Mildred. C'est un prénom assez vieillot et vous vous êtes promis, quand le temps serait venu, d'en choisir un meilleur pour vos enfants. Vous pensez à Alexandre et à Camille. Mildred préfère Arthur et Sophie. Vous hésitez.

Votre rencontre avec Mildred s'est déroulée au B.I.I. Elle attendait à côté de vous pour sa régularisation, conformément aux articles concernant les Incongrus. Passeport en main, ticket dans l'autre, elle attendait d'être nommée à l'accueil pour répondre à un formulaire très strict de questions concernant sa nature. Vous même veniez de franchir les contrôles sanitaires et de dangerosité, et vous avez vu un type être emmené ailleurs, quand ses mains ont commencé à incendier les uniformes de ceux qui étaient présents pour vous surveiller.

Ces incidents sont nombreux, au B.I.I. Mais le gouvernement canadien a toute confiance en ses employés, et d'un coup d'extincteur, tout fut corrigé. Sans trop savoir pourquoi, cela ne vous avait pas trop rassuré.

Le B.I.I a pris note de votre demande concernant votre envie de devenir infirmier. En tant que satyre, vous avez du prouver que vous étiez apte à contrôler vos pulsions. Un traitement, délivré sur ordonnance par un psychothérapeute au sourire fade, vous a été donné et même aujourd'hui, vous avez l'habitude d'ingérer votre pilule verte entre votre café et vos œufs brouillés.

Mildred étant une sirène, il lui a été difficile de contrôler son appétit concernant la viande d'homme. Sa pilule est rouge, et son suivi plus important. Mais elle est souriante, chantonne le matin et n'a presque plus mal aux jambes, même si chaque année, vous partez en vacances au bord de mer, sur une plage privée réservée par le gouvernement. C'est bien, quand vos enfants grandiront, ils pourront connaitre la vérité, contrôler leurs propres identités, et tout cela grâce au B.I.I. Vous leur en êtes reconnaissants.

Bien évidemment, vous êtes fichés. Vos moindres déplacements surveillés. Vos enfants seront observés, mais vous avez une maison, vous avez du travail, vous avez de quoi mettre de côté, bientôt vous achèterez ce 4X4 dont Mildred a tant envie. Et rien ne compte plus que votre éternité à passer ensemble.

Vous vous fichez des vagues qui parlent des Supérieurs. De ces Incongrus trop extrêmes qui voudraient se défaire de l'ascendant du B.I.I. Pour les Supérieurs, c'est aux Humains de se plier à leurs existences plus ou moins anciennes. Car ils sont puissants, ils sont forts, ils sont fiers. La majorité d'entre eux comporte des divinités oubliées mais dont le nom n'a pas été oublié. Et l'oublie c'est justement ce qui menace les Supérieurs. Ça, et la faiblesse de vivre aux dépends de quelqu'un d'autre.

Il parait que Jack, votre voisin, en fait partie. Il parait que Suzanne aussi, la charmante Suzanne aux cheveux rasés car sinon on y verrait pousser des tentacules. Il parait qu'ils ont mené une attaque, à Montréal. Il parait qu'ils veulent asservir les humains, pour les plus extrêmes.

Mais vous vous en fichez. Vous vivez une vie normale, comme Johan et Carl, vos voisins humains. Qui ne se doutent de rien quant à vos spécificités. Vous êtes peut-être ce livreur de journaux qui ignore tout de l'existence du B.I.I. Ou ce monstre surveillé par le Bureau, confiant dans leur organisation et obéissant au moindre ordre. Ou vous êtes un Supérieur, attendant votre heure, de gloire, de retrouvaille, de légende.

Vous êtes qui vous voulez.
Vous êtes parmi nous.

Et nous sommes conscients de tout.